Le statut d’auto-entrepreneur, créé en France en 2008, avait pour objectif de simplifier l’accès à une activité indépendante, permettant ainsi aux personnes de tester une activité sans devoir créer une structure complexe. Ce régime visait à promouvoir l’initiative individuelle et à encourager l’entrepreneuriat dans un cadre fiscal et administratif simplifié. Cependant, avec le temps, ce statut s’est éloigné de son objectif initial, permettant à certains acteurs économiques de détourner ce régime pour exploiter une main-d’œuvre précarisée, notamment à travers les plateformes numériques. Explorons cette transformation, ses conséquences sur les travailleurs, et les défis liés à l’usage détourné de ce statut.
1. Origine
Le régime de l’auto-entrepreneur a été instauré par la loi de modernisation de l’économie de 2008. À l’origine, il s’agissait de permettre aux particuliers de lancer une activité secondaire ou principale avec des démarches administratives et des obligations fiscales limitées. Le statut était destiné principalement aux :
- Salariés, retraités, et étudiants souhaitant compléter leurs revenus par une activité secondaire.
- Chômeurs ou personnes en reconversion cherchant à tester une activité économique avant de s’engager plus profondément.
- Petits prestataires de services et artisans souhaitant bénéficier d’une structure légère pour facturer leurs clients.
L’objectif principal était de formaliser une part importante de l’économie informelle et de permettre à de nombreuses personnes de générer des revenus complémentaires sans être submergées par la complexité administrative et les coûts liés à la création d’une entreprise traditionnelle.
2. Statut juridique et fiscal, cotisations sociales et TVA
Le statut d’auto-entrepreneur est caractérisé par des formalités simplifiées, tant sur le plan juridique que fiscal. Voici les principales caractéristiques :
2.1. Statut juridique
L’auto-entrepreneur est juridiquement un entrepreneur individuel. Cela signifie qu’il n’y a pas de distinction entre le patrimoine personnel et professionnel, ce qui constitue un risque en cas de dettes ou de litiges. Cependant, une déclaration d’insaisissabilité peut être réalisée pour protéger certains biens personnels.
2.2. Régime fiscal
Le régime fiscal de l’auto-entrepreneur est basé sur un système de micro-fiscalité avec un abattement forfaitaire pour frais professionnels. L’impôt sur le revenu est calculé sur la base du chiffre d’affaires, après abattement. Il est également possible d’opter pour le prélèvement libératoire de l’impôt, permettant de régler l’impôt sur le revenu en même temps que les cotisations sociales.
2.3. Cotisations sociales
Les cotisations sociales des auto-entrepreneurs sont proportionnelles au chiffre d’affaires. Ce système permet de payer uniquement lorsque des revenus sont générés. Cependant, les taux de cotisations varient selon l’activité exercée (commerce, prestations de service, ou professions libérales). Cette simplicité a été un facteur d’attractivité, mais elle peut se révéler insuffisante pour garantir une protection sociale adéquate (faible couverture retraite, absence de couverture chômage).
2.4. TVA
Initialement, les auto-entrepreneurs étaient exonérés de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), ce qui leur permettait de facturer sans TVA et de simplifier la gestion administrative. Cependant, depuis 2018, l’atteinte d’un seuil de chiffre d’affaires entraîne l’assujettissement à la TVA, compliquant légèrement la gestion comptable de ce régime.
3. De l’entrepreneur au livreur
3.1. L’auto-entrepreneur pour débuter et aller plus loin
Le statut d’auto-entrepreneur était à l’origine destiné à faciliter les débuts dans une activité économique. Pour beaucoup, il s’agissait d’une première étape vers la création d’une entreprise plus pérenne. Les faibles coûts de création et la simplicité administrative ont permis à des milliers de personnes de tester leurs idées ou de compléter leurs revenus sans les risques inhérents aux autres formes d’entrepreneuriat. Parmi les activités couramment exercées sous ce statut, on trouve des métiers comme :
- Prestations de services : consultant, graphiste, traducteur, coach.
- Commerce : vente de produits artisanaux, brocante en ligne.
- Artisanat : petits travaux de bricolage, entretien de jardins, coiffure à domicile.
Cependant, certaines activités sont interdites sous le statut d’auto-entrepreneur, notamment :
- Activités réglementées nécessitant un diplôme ou une autorisation spécifique (médecin, architecte).
- Activités agricoles relevant de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) et donc le paysagisme.
- Activités d’agent immobilier, de notaire ou d’officier public.
Toutefois, pour ceux qui cherchent à développer une activité plus ambitieuse, les limites du statut deviennent rapidement évidentes, notamment en matière de financement, de protection sociale, et de reconnaissance par les partenaires commerciaux.
L’auto-entrepreneur, parfois considéré comme un concurrent déloyal, est souvent perçu comme bénéficiant d’un avantage compétitif indu. En effet, les faibles charges sociales et la simplification fiscale associées au statut permettent aux auto-entrepreneurs de proposer des tarifs plus bas que ceux des entreprises traditionnelles. Cela peut engendrer une forme de concurrence perçue comme inéquitable, notamment dans les secteurs artisanaux et des services, où les coûts de fonctionnement sont significatifs pour les entreprises établies. Ces disparités peuvent nuire à la viabilité des petites entreprises qui doivent assumer des charges plus lourdes et respecter des régulations plus strictes, tandis que les auto-entrepreneurs sont soumis à des contraintes allégées.
3.2. Le livreur : un faux entrepreneur exploité par les plateformes
Avec l’essor des plateformes numériques, le statut d’auto-entrepreneur a pris une tournure différente, notamment dans les secteurs comme la livraison et le transport de personnes. Les livreurs de plateformes telles qu’Uber Eats ou Deliveroo se sont retrouvés à travailler dans des conditions qui, bien que déguisées sous la forme de l’indépendance, relèvent souvent d’une exploitation économique.
Ces livreurs sont qualifiés de “faux entrepreneurs” parce qu’ils n’ont ni le contrôle des prix pratiqués ni la liberté réelle de choisir leurs conditions de travail. Les tarifs sont fixés par les plateformes, qui prennent également une commission importante sur chaque course effectuée, réduisant considérablement les marges des livreurs.
De plus, ces derniers sont souvent soumis à des objectifs de performance et des critères de satisfaction client qui, s’ils ne sont pas atteints, peuvent entraîner leur exclusion de la plateforme, privant ainsi ces travailleurs de leur principale source de revenus. Cette dépendance économique s’apparente à une forme de salariat déguisé, mais sans les avantages sociaux liés au salariat (protection contre le licenciement, congés payés, etc.).
4. Comment et pourquoi le statut original a été dévoyé
3.1. Un usage détourné : le salariat déguisé
Au fil des années, le statut d’auto-entrepreneur a été utilisé par certaines entreprises comme un moyen de réduire leurs coûts salariaux, en contournant les obligations sociales et fiscales liées à l’embauche de salariés. De nombreuses entreprises ont fait appel à des auto-entrepreneurs pour des missions régulières et subordonnées, transformant ainsi la relation de travail en salariat déguisé. Cela a permis de bénéficier de la flexibilité du statut sans assumer les coûts associés au salariat (cotisations patronales, congés payés, indemnités de licenciement, etc.).
3.2. Le retour du travail à la tâche
Le statut d’auto-entrepreneur a aussi favorisé le retour à une forme de travail à la tâche, rappelant le 19ème siècle. En l’absence de protection sociale solide, les auto-entrepreneurs se retrouvent souvent en situation de précarité, dépendant de contrats ponctuels et sans aucune garantie de revenu stable. Les plateformes numériques, en particulier, ont amplifié ce phénomène en recrutant des travailleurs indépendants qui, de facto, dépendent économiquement de la plateforme sans bénéficier des protections du salariat.
3.3. Une protection sociale insuffisante
Le régime d’auto-entrepreneur offre une protection sociale limitée. Les cotisations sociales réduites impliquent également une faible couverture, notamment en matière de retraite et de prestations maladies. Les auto-entrepreneurs ne bénéficient pas de l’assurance chômage, ce qui les expose à un risque financier accru en cas d’interruption d’activité. En 2021, le revenu moyen des auto-entrepreneurs était d’environ 590 euros par mois, selon l’INSEE, un montant souvent insuffisant pour couvrir les besoins fondamentaux. Près de 30 % des auto-entrepreneurs arrêtent leur activité dès la première année, souvent faute de revenus suffisants ou en raison des difficultés à obtenir un financement stable. Par ailleurs, cette fragilité est accentuée par l’absence de congés payés, des horaires de travail parfois très longs (jusqu’à 60 heures par semaine pour certains livreurs), et d’indemnités en cas de maladie ou d’accident.
Conclusion
Le statut d’auto-entrepreneur, conçu initialement comme un moyen de simplifier l’accès à l’activité économique et de favoriser l’entrepreneuriat, a été dévoyé par certains acteurs économiques, au détriment des protections sociales des travailleurs. Bien qu’il ait permis à de nombreuses personnes de se lancer dans une activité indépendante, il présente des limites importantes en matière de protection sociale et de sécurité économique, surtout lorsque ce statut est utilisé dans un cadre de salariat déguisé ou de travail dépendant des plateformes numériques. L’évolution de ce statut reste un enjeu majeur pour les politiques publiques, visant à concilier flexibilité et protection des travailleurs.